mardi 21 avril 2009

Louisiane, New Orleans 2009

13 avril 2009 
Le week end fût chargé… 
Aller retour à Nantes le samedi pour participer à la promo d’Anne de Bretagne….mini show case pour l’agence culturelle bretonne et myriades d’interviews…décidemment le personnage d’Anne et les chansons d’Alan Simon suscitent beaucoup d’intérêt et d’émotions… 
Dans le cœur du château des Ducs j’ai aussi essayé pour la première fois le costume de Anne. 
Les couturières sont de véritables orfèvres ! 

Aller retour en Belgique le dimanche pour un concert avec le quintet au festival Trolls et légendes de Mons. 
Festival magique : fées, trolls, lutins, magiciens et peintres… 
Mon ami John Lang nous a rejoint pour quelques chansons à la flûte et au bouzouki. 
Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas joué ensemble et c’était un vrai plaisir sur scène ! 

Envol pour les USA le lundi …Quelle vie étrange…Nantes – Paris – Belgique – Paris – Atlanta – La Nouvelle Orléans…le tout en moins de trois jours. 
Parfois je me demande si je n’ai pas un brin de folie coincé quelque part dans le cœur ou l’esprit pour dire oui à de telles pérégrinations… 

Seul bémol à cette vie de troubadour motorisé : les avions et les aéroports que je finis par haïr chaque fois un peu plus à chaque nouveau voyage. La seule perspective de faire escale dans un aéroport et de subir les procédures de douanes, contrôles, attentes, retards éventuels, suffit à venir à bout de ma patience et de mon calme et me transforment en véritable misanthrope. 
En même temps je reste fascinée par ces grandes ruches grouillantes et aseptisées que sont les aéroports car ils sont un peu hors du monde réel, comme de gigantesques parenthèses dans lesquelles on perd la notion de l’heure, de l’espace et aussi un peu de son identité. 

Patrice Fisher et la harp society de Louisiane m’ont invitée pour la seconde fois pour une série de concerts dans les écoles, des workshops et un concert à la Trinity Church de la Nouvelle Orléans avec les élèves de harpe celtique. 
Les élèves ont travaillé plusieurs semaines sur mes chansons et cela va être très amusant de jouer « Bran » ou la « Valse des ondines » avec eux. 

Ma précédente venue date de 2002 et cela m’a intéressé de relire mon carnet de bord de l’époque et de le comparer avec celui-ci…J’étais alors un brin plus jeune et encore étudiante….pendant deux mois, 30 concerts dans la rue, les clubs et les bars… 
7 ans ont passé et depuis, il y a eu l’ouragan Katrina qui a balayé la Louisiane et beaucoup d’eau aussi qui a coulé sous les ponts de ma vie. 
C’est intéressant parfois de faire un arrêt sur image de regarder en arrière pour voir le petit bout de chemin qu’on a parcouru. 
Il y aurait surement des choses à refaire, à changer, mais dans l’ensemble je suis plutôt heureuse de ce que je vois en me tournant vers le passé. 
J’ai toujours eu l’impression d’avancer dans la vie comme si j’assemblais les pièces d’un puzzle. Au début du jeu, on ne devine pas le motif, mais un beau jour, au fur et à mesure de l’assemblage, on comprend le dessin et chaque pièce du puzzle prend alors plus de sens. 
Cela devient alors plus facile de poser chaque pièce. On espère juste un jour finir le puzzle et pouvoir alors, fatigué, le regarder d’un œil satisfait. Pour ma part il me reste encore pas mal de pièces à placer dans mon puzzle mais je commence à avoir une vague idée du dessin complet. 

Je suis arrivée vers 1h30 (il est 8h du matin en France !) à la Audubon Guest House, la pension que tient Barbara Martin à l’entrée de l’Audubon Park. 
(À recommander pour tous ceux qui veulent passer un séjour unique à la Nouvelle Orléans et se plonger délicieusement dans le passé français de la ville) http://www.historiclodging.com/audubon/ 
C’est une maison en bois de cèdre des années 1890 à deux pas du parc Audubon. Il y règne une atmosphère incroyable. Chaque meuble et chaque objet raconte une histoire. 

Le salon est une véritable forêt de harpes. (Barbara est membre de la harp society et son second mari était un harpiste gallois renommé). 





Le jardin est un rêve, tout autant que ma chambre. Le lit est si haut qu’il faut un tabouret (placé judicieusement là à cette intention) pour y monter.
La salle à manger dans laquelle chaque matin un petit déjeuner de princesse est servi dans des couverts d’argent sort tout droit d’un conte de fée.
Barbara a d’ailleurs tout de la marraine-fée qui habite nos contes d’autrefois.
Pour preuve, chaque matin, il y a des biscuits beurrés juste sortis du four, et du café toujours chaud et cela quelle que soit l’heure à laquelle je me lève….Quand je vous dis qu’elle est un peu magicienne… 





14 avril Behrman school concert
Il est 9h du matin et je dois donner un court concert pour les enfants de l’école.
La Nouvelle Orléans est décidemment une ville mystérieuse car à notre arrivée il n’y absolument personne : les grilles sont fermées et personne ne répond au téléphone.
D’ailleurs le numéro de téléphone qu’on nous a donné n’est pas attribué. L’école Behrman serait-elle une école pour fantômes ?
A ce jour le mystère n’a toujours pas été éclairci. 





La matinée étant par conséquent libre, je décide de prendre le streetcar (le vieux tramway qui sillonne toute la ville) en direction du french quarter.
Le long de St Charles avenue, il y a toujours ces maisons en bois incroyables avec leurs grands jardins et leur charme colonial.

le French quarter a été relativement épargné par l’ouragan.
Toujours les même noms de rues au doux parfum français : Chartres, Toulouse, St Louis, St Pierre…..
Les magasins de souvenirs pour touristes sont eux aussi toujours là, toujours aussi nombreux, avec toujours autant de babioles – preuve que les touristes reviennent flâner à la Nouvelle Orléans.
Une nouvelle catégorie de souvenirs, fabriqués autour de la mémoire de l’ouragan Katrina, est toutefois apparue dans les étals des magasins.
Nous sommes en avril mais l’air est déjà brûlant.
De la musique s’échappe sur les trottoirs, partout des effluves d’épices et d’alcool.
Dans les vitrines de certains magasins on fabrique des pralines (spécialité de la ville) sous les yeux gourmands des badauds.
On peut acheter des piments de toutes sortes, du Tabasco, des cigares, des masques de mardi gras et beaucoup de souvenirs « made in Taiwan » (sacs, hamacs, bijoux de pacotille…)
A l’entrée du french market, le café du monde est toujours là, servant à longueur de journée son café au lait brûlant et ses beignets mythiques.

La Nouvelle Orléans est aussi réputée pour ces magasins d’antiquités et ces brocantes…tout se qui se rattache au passé européen et français de la ville est vénéré ! 





Le moindre bénitier en provenance d’une de nos églises de campagne atteindra ici des prix fous…Si vous cherchez la statue de vierge ou le vieux fauteuil que vous avez connus dans la maison de votre enfance et qui furent vendus trois sous un jour par votre grand tante ou votre grand mère lors d’un vide grenier quelconque, il y a de grandes chance pour qu’ils se trouvent ici quelque part…c’est assez fascinant de voir la quantité de meubles et objets proposés ici.
Poupées de porcelaine, linge, meubles, bijoux anciens…. 





la liste est longue et parfois surréaliste quand on découvre une armoire provençale ou des verres à pied vendus dix fois leur prix ; parfois choquante quand il s’agit de cabinets précieux ou de statues de sculpteurs renommés….
Ce qui est drôle dans cette histoire c’est que pendant des décennies, les gens des villes et de campagnes françaises n’ont eu de cesse que de se débarrasser de leurs vieux meubles noirs et lourds, de tous ces chandeliers et autres casseroles de cuivre, pour les remplacer par des meubles et équipements modernes…
Et aujourd’hui les américains nous envient nos « vieilleries ».
Je pense que c’est parce que tout – absolument tout - est jeune dans ce pays. Il est rare qu’un monument ai plus de 150 ans…alors on se fabrique un passé mythique à travers des objets un peu « chargés » d’histoire.
Savent-ils qu’il existe aussi une histoire millénaire sur ce continent ? Seulement, elle n’est pas blanche : elle est indienne et nous l’avons un petit peu bousillée…Peut être parce qu’elle n’a pas de patrimoine sur lequel capitaliser, pas de meubles et d’objets luxueux, seulement des outils, des objets magiques, des histoires et des paysages…rien qui ne prenne sa place dans nos maisons.

Dans le French market la statue de Jeanne d’Arc et toujours là.
Le Mississippi coule des jours tranquilles, indifférent aux bruits de la ville.

Il y a peut être un peu moins de touristes mais toujours autant de fanfares de Jazz et de peintres du dimanche. Un peu moins de diseuses de bonne aventure le long de la cathédrale…Les gens ont peut être définitivement perdu leurs illusions et préfèrent ne pas connaitre le sort qui les attends...ou alors comme Ils ont déjà vécu le pire pendant l’ouragan, ils pensent peut être qu’après tout, l’avenir ne peut être que meilleur.
Le O flaherty’s pub a disparu. J’y avais joué plusieurs fois par le passé. Il y a maintenant de lourdes planches de bois devant chaque fenêtre.
Penser à ramener café du monde et piments

3 mai 2002
Harpe dans la rue près de la basilique St Louis – près des diseuses de bonne aventure – une fleur – un bracelet – des dollars. Une libellule se pose sur la harpe et reste le temps d’un morceau. C’était une fée ?
Stephen me raconte une expérience qu’il a vécue avec les fées…comme des petites lumières tourbillonnantes qui lui sont apparues un jour. Pour lui les fées sont des créatures de dieu, placées par lui ici bas pour aider les hommes à cultiver la terre et faire de la musique.
En écosse il existe une communauté de fermiers qui invoque les fées pour avoir de meilleures récoltes…et ça marche !
Stephen avait un oncle magicien qui est mort sur scène juste après la tombée du rideau !

21 mai 2002 Concert de Beth Paterson au pub irlandais « O Flaherty ». Une des chansons qu’elle chante me séduit immédiatement :
« je m’endors, je m’endors
et j’ai froid et j’ai faim
Le soleil et couché
jsuis bien loin dla maison

J’ai lu tous les livres que j’avais emporté dans l’avion et je dois absolument trouver une librairie en français.

Déjeuner au café Maspero
L’endroit pue la friture mais est très sympathique.
Il propose un menu traditionnel américain.
Des familles aux larges fesses débordant de fragiles chaises de bois commandent burgers et sodas glacés.
Sur le mur un tableau donne un aperçu de ce qu’à pu être le quartier de la cathédrale il y a cent ans… j’ai l’impression que j’ai remarqué ce tableau uniquement parce qu’il me faisait penser à une vue du quartier Kereon à Quimper et je me dis qu’au fond on ne remarque que ce que l’on connait déjà.

Répétition vers 17h
Le quartier de Patrice a été très touché par ouragan.
Trois ans et demi après Katrina, les habitants viennent seulement de toucher l’argent du gouvernement pour restaurer leur maison.

Malgré la crise profonde qui touche les usa et dont on me parle sans arrêt, avec tous les travaux de reconstruction, la situation économique de la Louisiane est paradoxalement bien meilleure que dans beaucoup d’autres états.
Les gens ont besoin de parler de l’ouragan, de le raconter, de dédramatiser par des mots ce qu’ils ont vécu : inondation, destructions, pillages, violences….
C’est comme un exorcisme.
Une élève m’explique qu’ils ont tout laissé derrière eux excepté trois chats, les photos de la famille et sa harpe…Cela me fait réfléchir à ce que j’emmènerais avec moi dans une telle situation.

Les élèves ont bossé sur mes chansons.
Certains ne joueront que les accords, d’autres ont travaillé les mélodies. J’aime la démarche de Patrice qui encourage même les débutants à jouer en ensemble.

Une élève m’invite ensuite à la réunion mensuelle de la scottish sociéty.
Ils se réunissent régulièrement pour des dîners, danses tradiotionnelles et discussions. Je m’étais imaginé une réception un peu « ampoulée » avec des petits plats dans les grands.
En fait la réunion a lieu dans un gymnase – drapeaux et tartans écossais sont fièrement arborés. Cookies, sablés et whisky. L’assemblée est réduite et plutôt âgée, voire estropiée. Il a quelque chose de touchant de les voir maintenir cet héritage écossais fantasmé.
Derrière les danses et la fête, cet attachement à un pays originel, dans lequel la plupart ne sont pas nés, avait un parfum un peu triste. J’ai senti en eux la nostalgie d’un pays qu’ils n’ont pas connu. C’est important de se créer des racines…

Diner en terrasse dans un restaurant libanais. Je savoure la douceur de l’air et la végétation luxuriante de la ville.

25 mai 2002
la Nouvelles Orléans c’est la ville des chats, surtout la nuit….Pourtant sont-ils aussi nombreux ? Serait ce un paradis de mystères comme l’est Venise ?
J’aime les rues ici, à cause des arbres. Ils poussent librement jusqu’à en détruire la chaussée – belle revanche de la nature…
ce soir c’est la pleine lune. C’est à cause d’elle que nous sommes tous un peu sur les nerfs. (…) petit câlin avec un chat gris.

Le lendemain, mercredi 15 avril est mon seul jour de liberté…
RDV dans un cimetière ancien dans lequel on restaure des tombes qui datent pour la plupart de la seconde moitié du XIXème siècle. Pour les américains, ces tombes sont très anciennes et atypiques (ces petits édifices-caveaux sont plutôt de style européen)… 





On nous explique que les morts remontent parfois à la surface lors des inondations si on ne les enterre pas profondément…Sympathique perspective.
Le commandore palace est un restaurant très old fashioned qui borde le cimetière.
On me promet de m’y emmener avant mon départ pour que je puisse gouter au charme de l’ancien temps….
Balade dans Garden district : maisons coloniales gigantesques, grands jardins. Des demeures de maitres et riches planteurs, emplies de légendes, de fantômes et de vaudou

Nous passons devant la maison de l’écrivain Maison d’Ann Rice.

Balade dans le french quarter. Après investigation, je découvre un book store qui a des tonnes de livres en français !!! Le libraire parle ma langue et ma nationalité me vaut une jolie réduction sur les bouquins achetés.
Pour l’occasion j’achète un bouquin d’Anne Rice – une histoires de sorcières – pour être totalement dans l’ambiance – ainsi qu’un énorme pavé de James Elroy –(celui là devrait tenir le temps du voyage de retour).

Le librairie m’a conseille un restaurant pour déjeuner : le napoléon house – dans la cour intérieure duquel je m'installe après le départ de Barbara pour écrire le journal…j’applique à la lettre ma nouvelle philosophie de voyage : éviter les déplacements agités dans les villes que je visite – comprendre par l’immobilité.
Ai retrouvé les cannoli, des pâtisseries italiennes découvertes lors de mon premier séjour ici et jamais retrouvées…(beaucoup d’immigrés italiens –mélangés aux irlandais, français, espagnols – de quoi donner naissance à de savoureuses histoires de mafia)

Auparavant j’ai fait un détour par quelques magasins pour touristes, musée vaudou et autres boutiques de sorcellerie qui se cachent dans les moindres recoins de la ville…
En exploitant à outrance certains aspects de leur histoire – légendaires ou réels – les villes touristiques finissent par s’engluer dans une sorte de confiture pour touriste.
Ainsi les poupées vaudous sont-elles proposées en vente en série, de même que des parfums, charmes, bougies, savons (du savon vaudou ?) herbes – le tout sensément préparé et chargé par de vraies prêtresses vaudou – et vendu avec le prix adéquat. Idem pour les pirates (dont le célèbre jean Lafitte) qui ne sont plus que des pirates de mardi gras. Partout on trouve chapeaux pirates de pacotille et autres perroquets en peluche.
J’ai été beaucoup amusée par le musée de l’absinthe (ici tout ce qui se rattache au passé français est vénéré) : la boutique (évidemment le musée est avant tout une boutique) propose tout le nécessaire à absinthe : verres, cuillères, sucres, bouteilles, mais aussi des parfums, savons (encore eux???) bonbons, livres, posters à l’effigie de la fée verte…Et aucune goutte de l’alcool en question à l’horizon, pas même une pale imitation non alcoolisée.

Les tours opérators se régalent à vendre des tours fantômes et effrayants.

Flânerie dans les brocantes…serrures, bouteilles, bijoux, vieilles nippes et vieilles nappes, vases, lampes, tableaux… 





Les diseuses de bonne aventure s’installent autour de la cathédrale. L’une d’elles, tee shirt rose et bigoudis roses sur la tête, attend mollement la clientèle dans son transat rose. Elle est comme posée là, personnage complètement improbable, magique et banal à la fois. Duane Hanson aurait pu la prendre comme modèle pour une de ces sculptures.

Pubs et cafés glauques dans la rue qui longe le french market…un mime tout pailleté d’or (je l’ai vu à l’œuvre du côté de la cathédrale) se détend, cigarette au bec, assis devant une machine à sous.
Peut être qu’il claque tous les dollars qu’il a gagné tout à l’heure dans la rue. Odeurs de friture, de pisse et d’alcool. Notes de Guitares électriques toutes grasses qui s’échappent des devantures.

Petite halte au Café du monde. – il parait qu’un séjour à la Nouvelle Orléans ne saurait s’en passer.
Café et beignets tout poudrés de sucre glace. – traditionnel – une petite fille à la table d’à côté a le visage entièrement recouvert de sucre glace. Sa mère tente de la débarbouiller avec un peu d’eau mais l’eau et le sucre glace se transforment bientôt en une sorte de pâte sucrée ! Il faut avouer que manger les fameux beignets sans en mettre partout est un exercice difficile.

22 mai 2002
Herbes et potions…magasins diététiques – henné et almanachs de sorcières.
Visite d’un mausolée – atmosphère étrange – impression de ruines antiques, de labyrinthe, de civilisation disparue – calme et silence – magnifiques vitraux.
Serait-ce mon endroit préféré aux Etats Unis ? 





Jeudi 16 Avril
Je me suis levée un peu plus tard…les histoires de sorcières d’Ann Rice m’ont occupé une bonne partie de la nuit. 





On m’emmène déjeuner dans un restaurant Mexicain – sans méchanceté, je ne comprends pas comment une nourriture paysanne a base de maïs et de haricots noirs peut s’ériger en gastronomie.
Ballade dans l’Audubon parc et les quartiers chics

concert à l’école du sacré cœur
Une des plus chics et des plus anciennes écoles de la Nouvelle Orléans. Fondée à l’ origine par des nonnes françaises, c’est toujours une école religieuse pour jeunes filles.
L’uniforme est de rigueur. 





L’école coûte une fortune. Je n‘ai vu que des étudiantes blanches. Dans une ville multiethnique cela m’a choqué (tiens,la femme de ménage est noire…)
j’ai joué devant 150 jeunes filles en mini jupe écossaise, disciplinées et fabriquées dans le même moule…je sais que certains de mes musiciens auraient pu donner leur âme au diable pour être là et cela m’amuse d’y penser.
Je me demande comment des lieux comme celui-ci, avec leurs professeurs et personnel exclusivement féminins ne deviennent pas de véritables foyers d’hystérie féminine.

Une nouvelle balade en voiture et cette fois le revers de la médaille : Nous sommes dans un des quartiers pauvres, près du lac. Je n’en suis pas particulièrement joyeuse, mais reconnaissante qu’on veuille bien me montrer l’autre visage de NO…les quartiers riches sont un rêve, et voici la réalité. Paradoxalement je m’y sens mieux – pas de triche, pas de carton pâte.
Les maisons sont plus petites –moins jolies. Elles ont été inondées – et beaucoup sont désormais abandonnées.
Les magasins aussi sont à l’abandon - et pour cause, il n’y plus personne à qui vendre de la marchandise.
Des croix et des chiffres marquent les maisons et signalent si on y a trouvé des cadavres d’animaux ou d’hommes après l’ouragan.
Dans ces quartiers, la criminalité (viols, drogue) est très forte. On oscille entre atmosphère hippie-bohème et ambiance glauque.
Difficile d’imaginer que toutes ces maisons ont été ensevelies sous plusieurs mètres d’eau.

Dans le reste de la Nouvelle Orléans, je reste étonné de l’énergie déployée pour faire disparaitre les traces de la catastrophe : les jardins, les maisons, tout est redevenu « comme avant » Comment les humains trouvent-ils la force et le courage de toujours tout reconstruire ?

Dans les quartiers pauvres on assiste à une reconstruction partielle – certains habitants ne reviendront jamais – et il y a d’énormes problèmes pour toucher les subventions qui reconstruiront les écoles, les commerces et les habitations.
Il y a comme un parfum de fatalité dans ces quartiers : ils ont été les plus inondés (car les riches ont pris bien soin de construire dans les meilleurs endroits):
Ce sont en majorité des quartiers noirs, dans lesquels la pauvreté engendre violence, problèmes d’éducation, chômage, et racisme en conséquence.
Comment alors toucher les assurances des inondations quand on sait à peine remplir les papiers de demande d’indemnisation ?
Il faudrait réussir un jour à casser ce cercle vicieux.

J’aime discuter avec mes hôtes américains et les provoquer un peu sur des sujets polémiques:
- histoire de se fâcher un tout petit peu quand même…
les réponses apportées sont souvent déconcertantes car bien que pleines de bon sens, allant à l’inverse de nos jugements. Nous n’avons pas cette réflexion depuis l’autre côté de l’océan.

Aussi j’évoque les armes et leur circulation libre dans tous le pays et dans toutes les poches.
On m’explique la légitimité du port d’arme : celle-ci, inscrite à la constitution du pays (qui date de 1787 !) ne saurait être supprimée car pour beaucoup d’américains elle fait partie de leur histoire et leur patrimoine inviolable…
« Nous sommes une nation de chasseurs » me dit-on…
les new yorkais partent surement le week end pour chasser l’ours et le cerf.
Quel genre de gibier chassent donc les obèses en short et casquette qui trainent leur graisse dans les supermarchés de la Nouvelle Orléans ?

On me dit qu’il y a toujours eu autant d’armes, mais que la criminalité a augmenté récemment à cause des rappeurs (!!!) qui érigent le personnage du gangster en modèle…
Moi je crois que la violence est intrinsèque à ce pays, que les armes ont certes servi jadis aux pionniers pour se nourrir (et aussi pour tuer beaucoup d’indiens) et que les armes à feu se multiplient car les gens vivent en permanence dans la peur de l’agression et la paranoïa.

Je me risque aussi à parler de la place de la voiture dans la ville : ici, les voitures rivalisent de taille et de cylindrée alors qu’on roule la plupart du temps à 40km. Les immenses pick up ne transportent pas grand chose sinon les quelques courses hebdomadaires de la famille. Je demande alors pourquoi il n’y a pas de politique sur les transports en commun.
On me dit que leur mise en place serait très contestée car riches et pauvres, quartiers chics et ghettos, seraient alors interconnectés…et les gens ne veulent pas de cela.
Là encore c’est la peur qui préside au raisonnement.
Mais je ne comprends toujours pas pourquoi les gens marchent si peu : Pour parcourir deux blocs – à peu près 400 m – on prend sa voiture – (et on grossit !) ;
lorsqu’on me propose de faire du tourisme il y a de grandes chance pour que la balade se résume à un tour en voiture…

Dîner dans un restaurant libanais (encore !) - à croire que tous les américains ne se nourrissent que de houmous … C’est très bon mais le resto est bruyant – un numéro de danseuse du ventre qui est un peu triste car totalement artificiel. Les clients glissent des dollars dans l’échancrure des robes des danseuses.
On me dit qu’un tel numéro ne passerait pas au Texas où il serait jugé choquant et dégradant. Ici on est réputé pour son ouverture d’esprit…

Vendredi 17 avril
Matinée tranquille et déjeuner avec Barbara
exploration de la maison et du jardin – harpe. 





15h départ pour Lafayette
2h30 de route – même sur l’autoroute, les américains roulent doucement…environ 90km/h.( à ce rythme, il faudra m’expliquer pourquoi les voitures sont si puissantes) L’autoroute qui mène à Lafayette est incroyable car construite au milieu du lac Pontchartrain.
Par moment, elle est entourée de marais qui donnent naissance à des paysages fantasmagoriques - végétation luxuriante, alternant avec des troncs d’arbres morts qui se détachent sur fond d’eau et de ciel gris.

7 octobre 2003
retour à la Nouvelle Orléans.
La route est belle : avec le bayou des deux côtés, c’est comme si les arbres grandissaient dans la rivière. Certains sont des arbres morts – très grands – on dirait des totems. C’est irrésistiblement mystique et… indien. (…) paysage à la fois terrestre et aquatique. Effet de miroir et de renversement du monde.

Les cajuns vivent dans la région de Bâton rouge et Lafayette. Pionniers français chassés du canada par les anglais, ils ont rejoint la colonie française au milieu du XVIIIème siècle.
Ils étaient fermiers, et se sont plutôt installés dans les terres, laissent la côte et les grandes plantations aux créoles (ici le mot créole désigne les franco-espagnols de la Nouvelle Orléans, mélangés aux populations haïtiennes et africaines)
Les cajuns pêchent, cultivent le riz, la canne à sucre et élèvent les écrevisses (crawfish), soit tous les ingrédients de la délicieuse cuisine cajun (qui mélange à merveille la cuisine française et les épices d’Haïti et de l'inde)

Pas le temps de visiter Lafayette
répétition puis concert –

Nous voulons rentrer après le dîner.
Mais la pluie et le vent se sont donnés rendez vous.
Je n’ai jamais vécu un si gros orage. Des trombes d’eau s’abattent sur nous et le ciel est dangereusement violet.
La voiture se noie derrière un mur de pluie.
La route du retour est épouvantable et très éprouvante – on ne voit pas à un mètre – l’état de la route est désastreux – des camions gigantesque nous doublent et projettent grandes vagues d’eau sur la voiture, ce qui achève de m’effrayer.
La musique de l’autoradio (de vieux standards sud américains) et la danse folle des essuie glaces qui balayaient le pare brise à toute allure rendaient la scène un peu comique mais je peux dire que pour la première fois de ma vie j’ai vraiment cru ne jamais arriver à destination.

Le long du trajet, des noms de villes et quartiers indiens qui sonnent comme des éternuements : Tchoupitoulas – Atchafalaya - Ponchatoula…

17 mai 2002
Tempête !

29 mai 2002
Pluie et orage – risques d’inondation. On me raconte que l’eau de pluie recueillie est très utile aux sorcières. Quant à moi j’aime ce temps. Il me donne de l’énergie.
Des écureuils se baladent sur les fils électriques entre les arbres.
C’est au fond comme un réseau d’autoroutes pour eux. Les animaux utilisent positivement nos installations.

30 mai 2002
Orage et tempête pendant que je suis à la bibliothèque. – c’est impressionnant mais j’aime mieux cela que le soleil.

samedi 18 avril
Radio show à 1Oh – wwoz – la radio locale de la région - très écoutée – RVD au celtic show.
L’animateur se souvient de ma première venue. Il est très enthousiaste. Je joue quatre chansons.
Le French quarter festival à commencé et les rues sont encombrées.

Workshop en petit comité à l’église Trinity – je retrouve avec beaucoup de joie ma chère Manon – toujours aussi lumineuse.

Après midi avec mes nouvelles « copines » Michaela et Barbara.
Il est rare que je m’autorise des moments de détente entre filles mais après tout je me suis peut être laissée contaminée par la devise cajun de la Nouvelle Orléans : « laissez le bon temps rouler » ! : pique nique puis balade dans le french quarter : vintage clothes, bijoux, café et beignets au café du monde, restaurant au retour près de la maison.
Achat de chapeaux… 





Avec le festival la pension de Barbara est pleine d’hôtes.
Une des guests a eu un problème de clés : elle nous raconte qu’un « black man » lui a pris les clés qui lui étaient destinées dans la boite aux lettres...Barbara s’inquiète…Nous éluciderons le mystère un peu plus tard : C’est en fait Domingo, l’homme de confiance de Barbara, d’origine hispanique, qui a confondu ce jeu de clé avec un autre et l’a embarqué.
Pour cette femme, Dominguo, qui a le teint très légèrement hâlé, restera toujours un noir, de même que tout métis,indien, magrébin, italien ou espagnol seront toujours pour elles des «noirs»
Ce n’est pas qu’elle manque de sens de l’observation, c’est juste que tout son être est bloqué dans cette configuration.
Je connaissais ce versant de la sottise humaine (un de plus) mais je ne l’avais jamais constaté chez quelqu’un avec autant de naturel…c’est juste bluffant, mais très commun ici…

Nous parlons encore des armes – des quartiers chauds de la ville.
Il y a des endroits ou personne de va jamais (pas même les flics)
Les gens se font - parait-il - régulièrement descendre.
Drogue – caïds.
Cela se passe bien entendu dans les quartiers pauvres de la ville – souvent les quartiers noirs – et comme par hasard ce sont les quartiers qui ont été inondés (les riches ont construit dans des endroits plus hauts)
Ce qui est fascinant c’est qu’un quartier huppé, comme celui de Garden district, peut côtoyer des zones de pauvreté totale.
Des zones de non droit en plein milieu de la ville.
Des patrouilles circulent tout autour de cette zone, non pour arrêter les criminels mais pour circonscrire leur quartier et empêcher la « contamination » des autres quartiers.
Je ne sais pas dans quelle mesure tout cela est vrai ou dans quelle mesure cela relève de la parano mais je constate que les gens ont peur, même dans leurs quartiers chics…sous des allures débonnaires et tranquilles, les habitants n’en mènent pas large le soir venu.
Même dans le quartier ultra chic dans lequel je loge, On me recommande ci et ça, mais très franchement je ne ressens pas de danger (et pourtant j’ai un sixième sens très affuté quand je voyage)

Michaela me dit que les gens que nous croisons dans les cafés, dans les rues, ont très probablement tous une arme sur eux ou dans leur gros pick up, « just in case » … Elle pense qu’on ne fera jamais renoncer les américains à leur « droit » de posséder une arme.

Après l’ouragan Katrina, la ville a connu de nombreux pillages et crimes, et beaucoup de gens ont eu vraiment peur – et à juste titre - pour leurs biens et pour leur vie. Depuis la ville est encore plus armée qu’auparavant. Avec la crise économique qui a pointé son nez, les boutiques d’armes ont vu leur stocks de munitions dévalisés…cela ne présage rien de sympathique.

Les gens disent avoir des armes pour se protéger des gangsters…cela justifie-t-il d’avoir un long riffle ou un M16 chez soi comme me le confirment les filles ? Avoir une arme chez soi multiplie considérablement les chances de s’en servir un jour.
Pour se protéger ? N’y a-t-il pas un risque constant de déraper? Il parait que la plupart des meurtres (quand ils ne sont pas des règlements de comptes entre gangsters) naissent de scènes de jalousie et autres drames conjugaux…

Dimanche 19 avril 





Sound check à Trinity church –Pour y avoir déjà joué, je sais que cette église dégage une atmosphère particulière.
Un joli moment...
Jouer avec les élèves est une expérience sympathique même si certains ont vu tout leur travail paralysé par les stress de jouer en public !!!

Ma fierté ce jour là est la confession d’un de spectateurs après le concert qui me dit n’avoir jamais passé la porte d’une église ou d’aucun lieu de ce genre, ni avoir jamais écouté ce genre de musique, mais qui est venu écouter le concert car il a été aimanté par le charme des chansons jouées à la radio samedi…

Réception le soir avec tout le petit monde, chez Barbara qui a cuisiné pour nous toute la journée : Thé glacé à la menthe et pomegranate, salades de haricots et de pommes de terre cajuns, crabes farcis délicieusement créoles et sorbet ananas.
(Quand je vous dis qu’elle est une fée !) 





Lundi 20 avril
Concert Ecole Behrman
La directrice de l’école a fini par rappeler quelques jours plus tard et nous avons reprogrammé le concert pour le lundi 19 avril….sans autre explication ! C’est une école publique des quartiers pauvres : enfants noirs, professeurs noirs, personnel noir. Peu de budget et de moyens. Autant dire que le concert que je donne est gratuit.
Quelle contraste après la très chic école du sacré cœur et toutes ces jeunes filles blondes !
Cela en est même choquant –J’ai vraiment honte qu’un pays moderne puisse laisser s’installer cette sorte de ségrégation insidieuse…
Je me résume l’équation :
quartiers pauvres = noirs = école publique ? / Quartiers riches = blancs = école privée ?

En discutant plus tard avec Manon elle m’apprend que l’équation est plus compliquée.
Ici les écoles sont complètement dessinées en fonction de la couleur de peau (sauf dans quelques églises qui œuvrent pour la mixité – comme le projet « turn » de trinity church, qui aimerait faire bouger les choses)
il existe ainsi également des écoles huppées pour enfants noirs de bonne famille et des universités pour étudiants noirs.
Sur le papier tout est mixte, mais dans la réalité les parents continuent à perpétuer la séparation des « races » : des parents noirs aisés ne voudront pas que leur enfant se retrouve seul parmi les blancs, et l’inverse est aussi vrai…bien sûr.
Cela continue à l’université, et cela continue dans la vie active, et les enfants devenus parents à leur tour perpétuent la tradition.

Une famille très reconnue des beaux quartiers a perdu la moitié de ses « amis » lorsqu’ils ont voulu organiser un bal des débutantes (tradition très ancrée ici) pour leurs deux filles : seul problème, les jeunes filles sont noires car elles ont été adoptées. Les « braves gens » ont préféré ne pas venir à ce bal ressenti comme un outrage aux bonnes mœurs !

Heureusement certains essayent de briser ce cercle vicieux : un jeune blanc s’est inscrit dans l’université noire de la ville pour suivre le programme de musique. Il fait figure d’original. ….il faudra longtemps et beaucoup d’originaux comme lui pour que tombent tous les préjugés.

Je pensais que ces barrières invisibles étaient tombées dans les années 90’.
Je ne sais pas comment cela se passe dans les autre états américains, mais ici c’est à désespérer.
On se sent vraiment tout près de l’époque où les noirs n’étaient pas autorisés à monter dans les bus des blancs…

Ce sera mon dernier souvenir de Louisiane, et après un déjeuner avec mon amie Manon (très enthousiaste après que je lui aie expliqué le principe du vélib à Paris !) je m’envole pour Paris avec le sentiment que la France, malgré beaucoup de disfonctionnements et d’injustices, ne s’en tire peut être pas si mal que ça, dans le respect des êtres, de leur liberté, et de leurs différences.